5 choses à savoir sur un déploiement humanitaire
Entretien avec Jérôme Bertrand, manager du pôle déploiement chez HI/Atlas Logistique

Turquie séisme, déploiement Atlas Logistique | © HI/Atlas
Avant même qu’un avion ne décolle ou qu’un premier colis d’aide n’arrive à destination, un déploiement humanitaire est déjà en marche. Il se prépare en amont, se construit en réseau, demande parfois de l’improvisation et repose toujours sur des femmes et des hommes capables de garder leur sang-froid dans le chaos.
C’est le rôle des équipes de déploiement d’Atlas Logistique, unité technico-opérationnelle de Humanité & Inclusion spécialisée dans la logistique et le transport humanitaire, des professionnels expérimentés capables de se déployer en quelques heures pour évaluer les besoins et lancer les premières opérations. Jérôme Bertrand, manager du pôle déploiement, nous partage les coulisses d’un métier où l’anticipation, l’engagement humain et l’adaptabilité sont au cœur de l’action.
1. La préparation est la clé du succès
Un déploiement humanitaire commence bien avant l’arrivée sur le terrain. Il faut anticiper la logistique, les autorisations, la coordination avec les acteurs locaux et l’évaluation des besoins. Une mauvaise préparation peut ralentir l’intervention et réduire son impact.
« Dès qu’une crise survient, nous activons un dispositif d’alerte, nous évaluons la pertinence d’un déploiement. En parallèle, la cellule de coordination au siège prépare le départ : logistique, matériel, budget, prise de contact avec les partenaires… Cette étape conditionne tout le reste. »
« Etant donné que nous faisons des achats de matériel en avance, nous avons des kits prêts à être déployés. Un de nos logisticiens a toujours accès à ce stock et peut donc sortir le matériel de notre stock à Lyon à tout moment. Tu peux partir avec une caisse en quelques heures, tu as tout qui est prêt. »
Atlas Logistique a également conçu une boîte à outils complète avec des modèles de contrats, des check-lists ou encore des procédures opérationnelles prêtes à l’emploi. « Cela paraît anodin, mais c’est ce qui prend le plus de temps. Quand tu dois négocier un contrat d’entrepôt en urgence, un tel outil te permet de gagner un temps fou. »
Être préparé, c’est aussi avoir une organisation interne claire. « Il faut que chaque personne sache qui fait quoi. Sinon, tu risques d’avoir deux personnes qui font la même chose, ou au contraire, de louper un truc essentiel. »
Cette préparation passe aussi par la formation continue des équipes, qui sont régulièrement entraînées à faire face à des contextes variés, complexes et changeants.
« Nous nous formons en permanence, nous échangeons sur les expériences passées, nous simulons des scénarios. C’est ce qui nous permet d’être prêts à intervenir dès les premières heures. »
2. Chaque contexte est unique
Intervenir en zone de conflit, après une catastrophe naturelle ou dans une crise prolongée implique des défis très différents. Comprendre la culture locale, les contraintes sécuritaires et les infrastructures disponibles est essentiel pour adapter l’intervention.
Le défi est donc celui de l’apprentissage continu. Ce qui peut parait surprenant, « c’est que tu vas passer ta vie derrière un ordinateur. Même au fin fond de la brousse avec de la poussière, tu vas quand même passer ton temps derrière un ordinateur à organiser et à structurer pour améliorer la réponse. »
« En Ukraine, il fallait mettre en place une logistique dans un pays en guerre, avec des besoins immenses mais aussi des infrastructures existantes. À Gaza, nous sommes dans un espace très restreint, avec des blocages d’accès, des frappes, et la nécessité de nous coordonner très étroitement avec les partenaires locaux. »
Chaque urgence est complètement différente.
3. La logistique fait toute la différence
« Le geste humanitaire, c’est un geste d’abord logistique. La logistique crée l’accès. » explique Jérôme. Acheminer de l’aide, transporter des équipes, réhabilité des axes pour accéder à une zone isolée, tout cela conditionne la réussite d’une mission.
« Quand tu n’as pas de camion pour aller au fin fond du pays, quand personne n’a dégagé la route, tu n’as pas accès à la population. La logistique, c’est ce qui crée l’espace humanitaire. »
C’est valable pour les choses les plus simples.
« Quand tu arrives dans un pays comme l’Afghanistan après le départ des Américains, si tu n'es pas enregistré, tu n’as rien. Tu dois trouver un lit, un chauffeur, un moyen de communiquer. Tout ça, c’est aussi de la logistique. »
Et au-delà des premiers moments de l’urgence, commence alors la « logistique humanitaire » : celle qui permet de faire venir de l’aide, de monter des entrepôts, d’organiser les chaînes d’approvisionnement pour l’ensemble des acteurs sur place.
4. Se coordonner avec les autres acteurs humanitaires sur place
Un déploiement, c’est avant tout une question de collaboration. Il faut savoir travailler en équipe, sous pression, et avec des partenaires locaux. La gestion du stress et la résilience sont essentielles pour tenir sur la durée.
Quand une crise éclate, de nombreux acteurs humanitaires arrivent en même temps, souvent dans des conditions chaotiques. « Tu ressens un moment de flou, une impression de désorganisation. C’est normal, chacun cherche ses marques. »
C’est là que la coordination entre les organisations devient cruciale. Elle permet d’éviter les doublons, de ne pas oublier certaines zones, et de gagner en efficacité. « Notre premier travail, c’est de rencontrer absolument tous les acteurs. C’est ce qui te permet de comprendre les besoins réels et de t’intégrer dans l’écosystème humanitaire. »
Jérôme raconte :
« À Dnipro, au début de la guerre en Ukraine, nous étions tous logés dans le même hôtel qui était le seul hôtel encore ouvert et qui avait été sécurisé. Il suffisait de descendre dans le lobby pour se coordonner avec tous les autres acteurs humanitaires. »
Une anecdote qui illustre bien à quel point la proximité et la réactivité font partie de la réponse.
Cette coordination demande aussi de savoir trier l’information. « Il y a trop d’information et ça va dans tous les sens. Il faut pouvoir identifier les acteurs qui ont les bonnes données. C'est très difficile, il faut arriver à faire le tri pour ne pas être submergé. »
5. S’adapter en permanence
Un déploiement, c’est faire face à l’inconnu. Même avec une préparation optimale, les imprévus sont la règle. Changements de priorités, contraintes de sécurité, accès limité : il faut savoir ajuster ses plans rapidement et trouver des solutions innovantes. « Aucune crise ne ressemble à une autre. Nous partons avec des biais, des idées préconçues. Il faut tout remettre en question. »
C’est aussi un travail de synthèse dans des contextes très troublés. « Tu arrives dans un pays que tu ne connais pas, tu dois très vite avoir une vision claire dans un environnement qui ne l’est pas du tout. C’est difficile. »
Savoir réagir vite, sans perdre de vue les objectifs à long terme, c’est l’une des grandes forces des équipes de déploiements d’Atlas Logistique. Les qualités indispensables : capacité de synthèse, flexibilité mentale, structuration, relations interpersonnelles et surtout,
« il faut savoir être confortable dans le chaos. »
Pour Jérôme, il est essentiel de ne jamais envoyer une personne seule sur le terrain. « Il y a trop de boulot, trop de décisions à prendre. Il faut pouvoir croiser les regards, se contredire, créer des hypothèses de travail et également se soutenir. » Les missions durent au maximum deux mois, pour garder le recul nécessaire et rester clairvoyant. L’idée est de fonctionner par rotations.
En définitive, un déploiement humanitaire, c’est l’art d’agir vite sans jamais improviser à l’aveugle. C’est savoir structurer dans le chaos, rencontrer dans l’urgence, porter la logistique comme une mission en soi. Et c’est surtout une aventure profondément humaine, où le lien et l’adaptation sont les seules constantes.
Comme le résume Jérôme:
« Avec Atlas Logistique, nous créons un accès humanitaire. Nous ouvrons l’espace humanitaire. Et pour ça, il faut savoir poser les bases solides, dès les premières heures. »
« Nous ne sauvons pas le monde à chaque mission. Mais nous créons les conditions pour que d’autres puissent faire leur travail : soigner, nourrir, protéger. Et ça, c’est déjà beaucoup. »