En Casamance, espoir et avenir se conjuguent au féminin
Depuis 40 ans, un conflit déchire la Casamance. Les femmes, fortement mobilisées, sont devenues des actrices incontournables de la construction de la paix : en elles réside l’avenir.
Fatou Gueye et Fatou Bintou à Ziguinchor, montrent des tableaux peints par des élèves sénégalais dans le cadre d’activité de sensibilisation. Octobre 2023. | © A. Stachurski / HI
Les années 1980 marquent le début du conflit en Casamance, qui oppose les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) aux forces de l’État. Quatre décennies plus tard, ce conflit, qui a fait des milliers de morts et forcé des dizaines de milliers de personnes à fuir, n’a toujours pas trouvé d’issue. Mais la mobilisation des femmes, active dès les débuts, ne faiblit pas. Ensemble, elles comptent bien ramener la paix chez elles. C’est ainsi qu’a été créée en 2010 la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance (PFPC), partenaire de Humanité & Inclusion, qui rassemble et coordonne les initiatives portées par les femmes en Casamance.
Fatou Gueye, co-fondatrice de la PFPC et de son association membre USOFORAL, et Fatou Bintou, chargée de projets pour la PFCP, racontent cet engagement.
Des femmes unies dans un même combat
Traditionnellement, les femmes sont sacrées en Casamance. Elles jouent un rôle majeur dans la société et dans la gestion de conflits, en s’interposant pour forcer les belligérants à déposer les armes. Pourtant, dans les années 1980, nous constations que le conflit qui avait éclaté en 1982 s’aggravait. Les violences se démultipliaient et personne ne s’interposait… Alors nous nous demandions : pourquoi, cette fois-ci, aucune femme n’avait-elle levé le petit doigt ?
Il faut savoir que, culturellement, les femmes casamançaises ne restent jamais inorganisées et effectuent un travail remarquable à travers leur mobilisation. Or, le conflit avait forcé nombre d’entre elles à se déplacer et les structures s’étaient disloquées. Il fallait tout reconstruire, réorganiser les groupements et les fédérer.
C’est pourquoi, en novembre 1999, nous avons organisé le Forum des femmes pour la paix en Casamance. Il réunissait des femmes de tous horizons : des voix sacrées, des associations religieuses musulmanes et catholiques et des représentantes de toute la région. Grâce à cette mobilisation, nous avons pu faire entendre nos préoccupations.
« Nous avons fait entendre le cri du cœur des femmes de la Casamance, en tant que mères, en tant qu’épouses, en tant que sœurs, et qui voyaient leurs fils s’entretuer. Parce que les militaires, tout comme les combattants, sont nos enfants. Personne ne gagnait dans cette guerre ; et les grandes perdantes, c’étaient les femmes, » raconte Fatou Gueye, membre fondatrice de la PFPC et d’USOFORAL.
Puis les associations de femmes se sont à nouveau dispersées, jusqu’en septembre 2010, où elles ont décidé de se réunir et de se coordonner pour ne parler que d’une seule voix, afin que leurs préoccupations soient davantage prises en compte. C’est ainsi qu’est née la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance, une structure qui compte aujourd’hui 15 associations faîtières et plus de 250 000 femmes.
« Nous avons mené un vrai travail de plaidoyer. Avant, on nous disait « ça chauffe chez vous ! » Comme si les autres régions n’étaient pas concernées ! Notre travail a révélé la gravité du conflit et ses conséquences sur les populations : partout au Sénégal, on retrouve des victimes ou des parents de victimes. Alors tous les Sénégalais ont un rôle à jouer dans sa résolution. Nous avons milité pour qu’on arrête de parler de « conflit casamançais » et qu’on parle de « conflit en Casamance », explique Fatou Bintou, chargée de projet pour la PFCP.
Recréer un dialogue entre les cultures
Dès les années 2000, nous avions constaté que le conflit n’opposait plus des belligérants de même culture. Les militaires, originaires de partout au Sénégal, ignoraient que, en Casamance, les femmes sont sacrées et qu’elles pouvaient s’interposer entre des adversaires.
Notre premier axe de travail a été le renforcement des potentiels de paix, convaincues que la solution viendrait des populations elles-mêmes. Nous avons commencé dans la commune de Enampore, dans laquelle les femmes avaient, seules, réussi à arrêter les combats, les viols, les assassinats. Elles s’étaient soulevées et avaient créé un petit îlot de paix. Nous avons donc renforcé cet îlot de paix en formant les habitantes à la gestion de conflits, dans l’idée d’inspirer les communes autour.
« En 2002, quand vous parliez du conflit, personne ne vous répondait. Nous avons compris que pour recréer un dialogue, il fallait utiliser le théâtre. Nos pièces représentaient le quotidien, des familles déchirées, des fratries divisées, puis nous organisions un atelier-débat. Alors, les gens étaient obligés de parler du conflit » Fatou Gueye.
Nous avons aussi découvert des replis identitaires extrêmement graves. Dans un village par exemple, les femmes s’étaient regroupées par ethnies alors qu’avant, elles faisaient tout ensemble. À leur demande, nous avons réhabilité leur bureau maraîcher, qui était devenu une véritable forêt. Nous les avons formées en gestion non violente des conflits, en gestion administrative et financière, etc. Mais surtout, nous avons organisé les parcelles pour mettre côte à côte des femmes d’ethnies différentes. Or, dans le maraîchage, il faut parfois demander à sa voisine de veiller sur ses plants quand on doit s’absenter. L’entraide est indispensable et c’est ce qui a permis de recréer du lien. Jusqu’à ce jour où une femme Toucouleur nous a dit : « Ça fait 20 ans que je n’ai plus bu l’eau d’une femme Diola. Mais aujourd’hui, j’ai de nouveau confiance. »
« Partout où nous allions et où il y avait des problèmes, nous utilisions cette technique, car nous sommes convaincues que si les femmes s’entendent, les maris et les enfants feront de même. Elles sont la porte d’entrée pour restaurer la paix » Fatou Gueye.
Préparer l’avenir : guérir et éduquer
Il y a eu de grandes avancées sur la résolution du conflit et nous commençons à préparer l’après. Pourtant, bien que la situation se soit beaucoup améliorée, nous, organisations de la société civile, devons continuer à promouvoir le dialogue et l’émergence de femmes leaders, autonomes financièrement et politiquement.
Nous travaillons avec des partenaires clés de la reconstruction de la paix en Casamance, comme HI, pour sensibiliser les communautés sur les questions de cohésion sociale, non-violence et d’inclusion, en mettant en avant le leadership des femmes et des jeunes. Avec HI, nous avons aussi commencé à travailler sur les violences faites aux femmes.
« Les femmes ont été exposées à une violence extrême pendant le conflit : violence physique et psychologique. Elles aspirent à être accueillies dans un endroit sûr, pour avoir un espace où s’exprimer et dire ce qu’elles ont ressenti, les viols qu’on leur a fait subir ou auxquels elles ont assisté. HI nous aide notamment à répondre aux besoins financiers du centre d’accueil et d’écoute. » Fatou Bintou.