« Que toutes les femmes handicapées sachent dire non quand il le faut »
Je suis Dieynaba Diallo, j’ai 53 ans et je suis Sénégalaise. Je suis une femme handicapée motrice, coordinatrice de l’antenne de Thiès de l’association pan-africaine Women in law and development in Africa, partenaire de HI.
Dieynaba Diallo, coordinatrice de l’antenne de Thiès de l’association pan-africaine Women in law and development in Africa. | © Rem Dia Lo / HI
Toujours avoir son mot à dire
La cause de mon handicap est la poliomyélite, que j’ai eue à l’âge de 7 ans. A l’époque, le regard que l’on portait sur les personnes handicapées, surtout sur une fillette, était fondé sur une approche caritative. Ma maman s’est beaucoup battue pour moi, elle a insisté pour que j’aille à l’école, et ça a été déterminant dans ma vie.
C’est à l’école que j’ai pris confiance en moi. Je me suis toujours dit que je devais faire mieux que les autres. Les défis que je me lançais n’étaient pas ceux d’une personne handicapée : je me mesurais à l’aune de ce que les enfants non-handicapés pouvaient ou ne pouvaient pas faire. À cette époque, on pensait que les garçons avaient le monopole de l’excellence et de la réussite. Pour me faire une place, j’ai rivalisé avec eux pour les meilleures notes et les premiers rangs.
Je disais toujours que je devais utiliser autrement ma position de femme handicapée, pour faire savoir aux gens que ma personne n’était pas mon handicap. Leur montrer que, au-delà de mon handicap, j’ai les capacités.
Au cours de mon parcours, j’ai travaillé dans une ONG de défense des droits humains, pour sensibiliser les femmes sur leurs droits. J’ai également travaillé au Réseau africain pour le développement intégré, qui fait de l’appui juridique et judiciaire, ainsi que dans un centre d’accueil pour victimes de violences. La formation, c’est mon sacerdoce. Il y a des choses qui m’interpellent et je veux toujours avoir mon mot à dire. Pour cela, il faut avoir suffisamment de capacités et de connaissances dans tous les domaines. C’est un défi et je tiens vraiment à le relever. C’est pour cela que, tout au long de ma vie, j’ai saisi les opportunités pour me former.
Une violence systémique à l’encontre des femmes handicapées
J’ai eu connaissance de cas de violence physique, parfois terribles. Récemment, j’ai aidé une femme à porter plainte contre son beau-père. Avant de la battre, il lui avait retiré ses prothèses, pour qu’elle ne puisse pas se déplacer ni s’échapper. Ce cas illustre bien les violences faites aux femmes handicapées : si elle avait eu l’usage de ses jambes, elle aurait pu s’enfuir. Il y a aussi des cas d’abus sexuels ou de violence morale. Le personnel sanitaire lui-même est auteur de violences envers les femmes handicapées. Ces dernières ont des droits : le droit à la maternité par exemple, le droit de se faire consulter. Le personnel hospitalier doit les recevoir avec respect et dignité. Il a fallu mener des actions de sensibilisation pour leur montrer qu’ils faisaient partie de cette violence systémique.
Il faut que les femmes handicapées puissent jouir de tous leurs droits, avec une attention spéciale à la santé et à l’autonomisation économique.
Si quelqu’un te maltraite mais que tu es indépendante financièrement, il y a des choses qui ne passeront pas. Une femme handicapée m’a raconté un jour que son enfant se faisait violenter à la maison mais qu’elle ne pouvait rien dire de peur de se faire chasser de chez elle, car elle n’avait nulle part où aller. Imaginez ce qu’elle devait subir parce que financièrement elle ne s’en sortait pas. Il est essentiel que cela cesse.
Moi-même, lorsque j’ai commencé à travailler dans une ONG de défense des droits humains, je sensibilisais les femmes à leurs droits. Mais comme ce travail seul ne me permettait pas de m’en sortir, je faisais aussi du commerce en revendant des produits que j’achetais en Gambie. Ce n’était pas facile, la route n’était pas bonne, la sécurité pas assurée… mais le fait de baisser les bras ne m’a jamais effleuré l’esprit.
Je me disais que je n’en avais pas le droit : en tant que femme handicapée, si j’abandonnais, on m’aurait empêchée de me réaliser. L’autonomisation financière est vraiment déterminante dans la vie d’une personne.
Ensemble, prôner l’approche droits
Tout ce qu’on attend d’organisations partenaires comme HI, c’est de partager ce combat avec nous. Être à nos côtés pour combattre l’injustice et créer une société inclusive qui prône l’approche droit. Rendre à tout un chacun sa dignité de vivre.
Il faut s’adapter à la réalité, diversifier les activités. Ce dont nous avons vraiment besoin aujourd’hui, ce sont des entreprises pérennes, qui créent des emplois et génèrent des revenus. Des entreprises dont les femmes handicapées seront les propriétaires. Les femmes handicapées ont des idées, du courage, elles veulent accomplir de grandes choses – seuls les moyens manquent.
Faire de toutes les femmes handicapées des Dieynaba Diallo
Tôt, je me suis inscrite dans toutes sortes d’associations, et cet engagement m’a vraiment forgée. Mon premier combat, c’est celui pour les droits des personnes handicapées et les femmes handicapées, que ce soit au Sénégal, à l’international ou dans les instances de prise de décisions. Les autres femmes ont d’autres voies pour parler de leurs problèmes, des plages de discussions auxquelles les femmes handicapées n’ont pas accès. Je veux accompagner mes sœurs, partager avec elles, leur dire que ce combat, personne ne pourra le mener à notre place. C’est nous, et nous seules, qui pourrons le livrer. Ensemble, on va gagner ce combat.
Ma motivation, je la tire des défis qui sont toujours là, dressés devant nous. Il faut que, ensemble, nous les soulevions.
Un jour, en réunion, une de mes sœurs m’a dit : « moi, je veux être Dieynaba Diallo ». J’ai répondu : ça me rassure ! Parce que aujourd’hui, quand les gens me voient, ils n’osent pas commettre d’injustices. Pourtant, ces mêmes injustices sont infligées à d’autres. Ma mission est donc de faire de toutes les femmes handicapées des Dieynaba Diallo, qui sauront dire non quand il le faut.